Les vies multiples de Jeremiah Reynolds

Connaissez-vous l’incroyable destin qui fut celui de Jeremiah Reynolds ? Avec son dernier roman, l’écrivain Christian Garcin nous fait découvrir, avec une malice et une jubilation non dissimulées, le parcours de cet homme : tour à tour navigateur, aventurier, écrivain ; sur à peine trois décennies dans la première moitié du XIXè siècle, il accomplira un demi-tour du monde, voyagera jusqu’en Antarctique, combattra aux côtés des Indiens Mapuches du Chili… Bref, un personnage hors du commun, étonnamment tombé dans l’oubli.

Début du XIXè siècle : nous sommes à une époque d’expéditions terrestres et maritimes, où théories scientifiques et projets commerciaux se conjuguaient au cœur de voyages – souvent très périlleux – à l’autre bout du monde. C’est dans ce contexte que Jeremiah Reynolds, jeune homme audacieux, charismatique et surtout incapable de rester en place, décide de faire de sa vie une aventure permanente, dédiée aux rencontres, aux découvertes et dangers de mille sortes. Sa route va croiser celle de personnages illustres, insolites, fantasques : John Cleeves Symmes Jr, ardent défenseur de la « théorie de la Terre creuse » (hypothèse selon laquelle la Terre posséderait une surface interne habitable, et accessible par les pôles Nord et Sud), l’écrivain Edgar Allan Poe, avec qui il entretiendra une forte amitié, mais aussi Samuel L. Lewis, chasseur de baleines en Patagonie, qui lui confiera son unique obsession : vaincre un cachalot géant, présumé indestructible, et surnommé… Mocha Dick. A partir de cette confession, Jeremiah Reynolds, des années plus tard, écrira un livre dont Melville s’inspirera peut-être pour la rédaction de son chef d’œuvre, Moby Dick.

A travers ces Vies multiples de Jeremiah Reynolds, Christian Garcin, en amoureux des contrées lointaines, des mystères et de la littérature, nous offre un roman que n’aurait pas renié Jules Verne : ici, les théories scientifiques aussi extravagantes que poétiques font l’objet de périples insensés, les créatures mythiques fascinent les hommes au-delà de la raison, et les plus folles équipées se décident sur une simple poignée de main au fin fond d’une taverne à Valparaiso… Un passionnant récit mêlant aventures et utopies, raconté le plus simplement du monde, dans une langue limpide, discrète, presque murmurée. Et avant tout, un bel hommage aux pouvoirs du rêve, de la fiction et du désir d’ailleurs.

Les vies multiples de Jeremiah Reynolds, Christian Garcin, Editions Stock, 17 €.

Il était une ville

Détroit, Etats-Unis, fin des années 2000. Autrefois capitale américaine de l’industrie automobile, ville dynamique à l’économie florissante, Détroit aujourd’hui se meurt, gangrénée par la corruption et la crise financière. Plus de travail, plus d’argent, des services publics réduits à leur strict minimum. Ses habitants fuient les uns après les autres la misère et le désespoir, les rues sont désertées, les maisons tombent en ruine ; les immeubles, débarrassés de leurs cloisons, s’élèvent, fantômatiques, tels « des cathédrales ciselées ». Des animaux sauvages viennent fouiller les poubelles, des incendies se multiplient, la violence règne en maître.

C’est dans ce lieu inquiétant, à mi-chemin entre décor de western et cité post-apocalyptique, que Thomas B. Reverdy a choisi de raconter son histoire, ou plutôt l’histoire croisée de cinq personnages : Il y a Eugène, jeune ingénieur français, catapulté à Détroit par ses employeurs pour superviser la création d’un nouveau prototype automobile, et Candice, barmaid au visage ravagé par la vie, dont le rire « brillant et rouge » lui confère un charme singulier. Il y a Charlie, jeune garçon fugueur, qui va intégrer une mystérieuse communauté d’enfants, réfugiés au cœur d’une friche industrielle. Il y a Georgia, la grand-mère de Charlie, âme douce et éplorée, représentant en quelque sorte la « mémoire » de la ville ; et enfin l’inspecteur Brown, flic à la fois idéaliste et désabusé, chargé de l’enquête concernant la disparition de Charlie. Tous ces personnages forment un chœur dont les voix s’accordent pour tour à tour pleurer l’agonie d’une ville, et célébrer la vie qui, malgré tout, s’acharne à résister, telle une flammèche au milieu des ruines.

Thomas B. Reverdy, au-delà de l’émouvant récit de ces vies bouleversées, fait de Détroit le personnage principal de son roman. Visiblement fasciné par son histoire, ses paysages, l’aura spectrale et crépusculaire qui se dégage de ses bâtiments à l’abandon, l’auteur insuffle grâce, chaleur et humanité à ces carcasses de tôle et de béton. Et à la lecture de ce beau roman, on ne peut que partager sa fascination.

Il était une ville. Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion 19 €.

Chronique rédigée par Agnès !

Un hiver à Paris

C’est une simple lettre, comme surgit d’un passé refoulé, qui va pousser Victor, un auteur installé et à la vie bien rangée, à se remémorer une époque déterminante de sa vie. Nous sommes en 1984, il est alors un jeune provincial fraîchement débarqué à Paris pour faire sa deuxième année de classe préparatoire. Réservé et mal à l’aise parmi ses camarades, notre narrateur qui rêve déjà secrètement de devenir écrivain, navigue entre des élèves hautains et ambitieux, et des enseignants austères et pour certains sadiques. Mais un événement inattendu et dramatique vient changer la donne. Notre héros devient malgré lui le centre d’attention de tout l’établissement. Invisible jusqu’à présent, le voilà qui attire, fascine. Se présente à lui l’opportunité de rayonner, au risque de se perdre dans les illusions de la jeunesse.

Récit d’apprentissage mélancolique et troublant, au charme sans pareil, un hiver à Paris, le dernier roman de Jean-Philippe Blondel, saura vous toucher au coeur, là où sommeillent les souvenirs d’une époque où le monde s’ouvrait à vous.

Un hiver à Paris, Jean-Philippe Blondel, éditions Buchet Chastel 15 €.