Dans les années 80, le groupuscule d’extrême-gauche Action Directe sema la terreur en France tout autant que l’incompréhension. Braquage de banques, attentats, assassinats, ses opérations firent les unes des journaux télévisés mais ne réussirent pas à convaincre le grand public. Ses membres qui firent couler le sang furent traqués, arrêtés, amnistiés, condamnés sans jamais qu’une quelconque vérité émerge, la faute en partie à un procès décevant et aux propos confus des inculpés ou à leur silence. Action Directe est resté une énigme, que le temps a peu à peu recouvert de poussière, mais qui toujours demeure.
En enquêtant sur AD, Monica Sabolo découvre une nébuleuse trouble faite de solidarité, de naïveté et d’ultra-violence, avec des figures à la fois charismatiques et banales. Entre grand banditisme, convictions politiques, terrorisme et amitié, le secret Action Directe est difficile à percer, tout juste peut-on l’effleurer du bout des doigts. Ne souhaitant pas rester à la surface des choses, l’autrice s’enfonce alors sous la ligne de flottaison, à la recherche de l’indicible, pour comprendre.
Elle y rencontre son propre passé. Une enfance étrange et solitaire, un père menteur et absent qui voyage beaucoup, transporte des valises, organise des soirées louches, une mère magnifique mais peu aimante… En s’attachant (ou s’identifiant) à la figure de Nathalie Ménigon, ex-ennemie public numéro un, membre fondatrice d’AD, jeune femme timide issue de la bourgeoisie, devenue tueuse de sang froid capable de tirer à bout portant sur un père de famille, Monica Sabolo détricote les illusions familiales, et nous montre que nous sommes tous ambivalents, fracturés par une dualité, comme les deux faces d’une même pièce. Le coeur de notre identité, de notre personnalité, ne se trouve peut-être que sur la tranche, comme dans l’obscurité profonde d’une porte entrouverte.
Dans La Vie Clandestine, livre remarquable, courageux et passionnant sur l’impossible pardon, Monica Sabolo nous montre qu’on peut affronter son passé avec peut-être au bout du chemin, la réconciliation. Sans pour autant résoudre le mystère, au moins s’en saisir. Et à défaut de la vérité, la paix

La Vie Clandestine, Monica Sabolo, Gallimard 21 €