Un certain M. Piekielny

Il y a plusieurs manières d’aborder la rentrée littéraire. On peut la subir et se noyer d’effroi devant la masse d’encre et de papier, devant ces centaines de romans d’auteurs célèbres ou débutants, ou on peut l’aborder de manière joyeuse, comme une chasse au trésor où il faut trier, commencer, effeuiller, fureter, piocher, dénicher, refermer, retourner, recommencer… Alors on profite des douces soirées d’été pour glisser entre les mots, s’immiscer dans l’intimité ou la créativité d’inconnus. On laisse de côté les bonnes copies sans âme, les arnaques et les fabrications, ceux qui n’ont rien à dire ou ne savent pas écrire. Et on trie, commence, effeuille, furète, pioche, déniche, referme, retourne, recommence…

Souvent on profite d’un moment de calme à la librairie, et on essaie sans trop y croire le nouveau roman d’un auteur dont on a entendu du bien, ou celui qu’il serait bon de lire. Souvent ça ne marche pas du tout. On rit ou on grimace, et on se dit : « non, ce n’est vraiment pas possible ! »

Mais parfois, ça marche.

Difficile de dire à quel moment, à quel juste moment, le déclic se fait. Une phrase, au milieu, au début, un paragraphe… Alors on s’installe dans le fauteuil et on commence. Et quand un client entre et vous surprend plongé dans votre livre, vous souriez car vous savez que vous le retrouverez ce soir (le roman, pas le client!) et qu’il y a de fortes chances pour que vous vous soyez fait un nouvel ami.

Cela m’est arrivé des dizaines de fois.

Cela m’est arrivé cet été.

Maintenant je vais vous parler d’un certain M. Piekielny.

Ce personnage évoqué dans La promesse de l’aube, l’autobiographie (ou présentée comme telle) de Romain Gary, l’écrivain François-Henri Désérable est parti à sa recherche. Un peu par hasard semble-t-il, lors d’un séjour à Vilnius, lors d’une déambulation qui l’a amené devant le n°16 de la rue Grande-Pohulanka, où Roman Kacew (pas encore Gary), a passé une partie de son enfance.

M.Piekielny a-t-il existé ou n’est-il que le fruit de l’imagination de Romain Gary ? D’archives manuscrites en rencontres fortuites, peu à peu va se dessiner la vie de cet homme modeste et effacé, pris dans les cauchemars de l’Histoire.

De rebondissements en coups de théâtre, l’auteur esquisse sa vie, ce qu’elle aurait pu être, ce qu’elle a été, ce qu’elle ne sera jamais… Et c’est tout le miracle de ce livre, d’être emporté et ému par une vie imaginaire, par un homme qui par la grâce d’une plume, finit par exister.

Mais derrière M. Piekielny se cache l’un des grands écrivains français du XXième siècle. Un auteur complexe et insaisissable, mais aussi un homme d’action, un mondain, un fils marqué à vie par l’amour déraisonné de sa mère, à laquelle il ne cessera de rendre hommage.

Je n’ai jamais lu La promesse de l’aube.

Mais depuis que j’ai découvert Un certain M. Piekielny, j’ai l’envie irrésistible de m’y plonger. Jamais un auteur ne m’aura autant donné envie d’en découvrir un autre. Mais si je pense à M. Piekielny, si je pense à Romain Gary, je n’oublie pas M. Désérable car c’est un écrivain doué et sensible. Son livre merveilleux est tout à la fois une quête de vérité, une fable astucieuse mais aussi une réflexion sur la fiction, le pouvoir des mots et la force de l’imagination. Faut-il rêver nos vies pour être au plus près de la vérité ?

Lisez, et vous saurez.

Frédéric.

François-Henri Désérable est aussi l’auteur d’Evariste et de Tu montreras ma tête au peuple, tous deux publiés chez Gallimard.

« La nuit des temps est pleine de mères admirables, inconnues, ignorées, entièrement inconscientes de leur grandeur comme le fut ma mère. Il est vrai qu’elle était exceptionnelle par le panache, par la couleur, la flamboyance, mais pas par l’amour. Elle était dans le peloton de tête, c’est tout. Les mères, ce n’est jamais bien payé, vous savez. La mienne, au moins, a eu droit à un livre. »

piekielny

Un certain M. Piekielny, François-Henri Désérable, éditions Gallimard 19.50 €

Une réponse

  1. Une magnifique analyse que je me suis empressée de partager sur ma page FB! Mon frère, tu écris toujours superbement bien et sais rendre si bien hommage à tant d’écrivains, les anciens comme les nouveaux!

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