Thomas L’Agnelet, Gentilhomme de fortune

Les éditions Phébus réédite dans leur collection de poche Libretto une merveille de la littérature maritime et d’aventure : Thomas L’Agnelet, paru à l’origine en 1921 et dont l’auteur, Claude Farrère (prix Goncourt en 1905 et académicien en 1935) est depuis injustement tombé dans l’oubli.

Thomas Trublet est un malouin qui ne cherche qu’une chose : l’aventure ! Grâce à de récents exploits, un armateur lui confie La Belle Hermine, un navire flambant neuf, et lui propose d’aller rejoindre l’île de la Tortue, au coeur des Caraïbes, afin d’y jouer les corsaires pour le compte du Roi de France. Ce qui arrange bien notre héro, car un duel inopiné le met en fâcheuse posture et l’oblige à quitter Saint-Malo pour longtemps.

Son talent pour la navigation et le combat, son sens de la ruse et son autorité naturelle permettent à Thomas d’enchaîner prise sur prise. Surnommé « L’Agnelet », il devient vite une légende vivante dans la mer des Caraïbes. Son succès et son audace ne semblent pas avoir de limite. A tel point que lorsqu’une belle espagnole, aussi farouche que coriace, le défie d’attaquer sa ville natale, son sang ne fait qu’un tour et Thomas relève aussitôt la provocation.

Ce roman de Claude Farrère provoque un intense plaisir de lecture ! Une jubilation même ! Rythmé, écrit dans une langue soutenue mais riche en expressions malouines pittoresques, il se dévore autant qu’il divertit. Corsaires, pirates, flibustiers, espagnols, hollandais, français, femmes fatales et vieux loups de mer, tous cohabitent joyeusement au sein du roman dans un festival de combats, d’abordages, d’amitiés et bien-sûr d’amours !

Thomas l’Agnelet est une cure de jouvence, un roman plein de fougue et de vie, et un tableau sensationnel de l’âge d’or des corsaires et des flibustiers du XVIIème siècle.

Thomas l’Agnelet, Gentilhomme de fortune, Claude Farrère, éditions Phébus Libretto 10.50 €.

Du bon usage des étoiles

Parce qu’en cette période presque estivale il fait beau et chaud, je vais vous parler d’un roman où il fait froid, très froid, et où la glace et la neige recouvrent tout l’horizon : Du bon usage des étoiles, de Dominique Fortier, auteure québecoise dont c’est le premier roman, publié aux éditions de la Table Ronde.

En 1845, deux navires quittent l’Angleterre, l’Erebus et le Terror, et mettent le cap sur l’Arctique dans le but de découvrir un passage hypothétique reliant l’Atlantique au Pacifique. Tout comme pour le Titanic, point de suspense ici quant à l’issue de l’expédition : ce sera un désastre total. Les navires resteront prisonniers des glaces et tous les marins mourront affamés et littéralement gelés.

Cette sinistre aventure tient à la fois de la farce et de la tragédie. L’expédition est mal préparée, tant sur le plan humain que matériel. Les décisions sont mauvaises et les choix douteux, les techniques d’orientation et de navigation sont encore balbutiantes, approximatives. Victimes d’une amirauté orgueilleuse, pas moins de 129 hommes périrent au final.

L’immense Dan Simmons avait déjà traité de cette expédition avec son roman Terreur (disponible en pocket), mais d’une manière plus dense et descriptive, et surtout empreinte de mystère et de fantastique. Le livre de Dominique Fortier est moins approfondi mais il n’en demeure pas moins excellent pour autant. Au contraire même, le style élégant et sobre, l’alternance entre les différents points de vue et protagonistes, l’ajout de documents authentiques, tout confère à une immersion rapide et tenace. En peu de mots, mais parce qu’ils sont sans doute bien choisis, Dominique Fortier nous décrit la lente agonie de cette expédition, la déchéance des hommes qui sombrent peu à peu dans le doute, la peur, la folie, et qui pourtant et avec dignité meurent en héros. Tandis qu’en Angleterre, bien au chaud dans les salons victoriens, les femmes des officiers trouvent le temps long, puis s’inquiètent et finalement s’angoissent.

Je vous recommande fortement Du bon usage des étoiles. Ce roman n’a pas la prétention d’être une oeuvre documentaire et historique. C’est un voyage littéraire plein de charme au bout de nulle part, là où tout est blanc, à perte de vue, à l’infini.

Du bon usage des étoiles, Dominique Fortier, éditions de La Table Ronde 20 €.

Le Front Russe

Non ne partez pas ! le Front Russe n’est pas un énième roman sur la seconde guerre mondiale (ouf !), mais un joyau d’humour comme on en fait plus, un roman qui fait tellement rire qu’il vous fait passer pour un idiot dans le métro ou au restaurant, et qui vous colle un sourire en coin toute une semaine au risque de semer le trouble parmi vos collègues.

Vous rêvez de voyages, d’aventures, de jouer les hommes de l’ombre de la diplomatie française ? Alors faites comme le narrateur et devenez fonctionnaire au Quai d’Orsay ! Mais évitez dès le début de vous mettre à dos le chef de cabinet, car sinon vous serez affecté au service « Bureau des pays en voie de création / Section Europe de l’Est et Sibérie. » Et là, adieu les voyages et les joies de la diplomatie, bienvenue dans Le placard du ministère, entouré de collègues à moitié fous ou dépressifs, fonctionnaires zombies mi-planqués mi-sacqués, qui gèrent tant bien que mal leur ennui et la misère de leur travail.

Il y a tellement de choses à dire qu’on ne sait pas par où commencer : L’enfance sordide du narrateur dont les points culminants sont la contemplation d’une tapisserie très typée « années 70 », et une collection de « Géo » savamment entretenue ? Une scène très sensuelle où il est question d’un chien qui s’appelle Youki et d’une truffe humide ? Un chef de service pas très net qui parle comme un sergent instructeur ? Une collègue dont le territoire exclusif est la photocopieuse ? Un pigeon mort mort dur à enlever qui remet en question les lois sur les marchés publics ?

Après tout ce roman ne fait que 252 pages (c’est trop court, on aimerait pouvoir continuer à rire ça fait tellement de bien !) alors inutile de tout raconter en détails. Sachez juste qu’il est très bien écrit, que le regard porté sur les fonctionnaires n’est ni méchant ni gratuit, mais empreint d’une certaine tendresse. Qu’il est à  la fois drôle et tragique (enfin pas trop, mais tout de même quelle enfance pathétique !), sans oublier son côté instructif qui vous apprendra tout un tas de nouveaux noms de pays de l’est émergents (ou non) que vous pourrez ensuite placer habilement lors des soirées de l’ambassadeur.

L’auteur s’appelle Jean-claude Lalumière (ça ne s’invente pas), son roman Le Front Russe et c’est aux éditions Le Dilettante. C’est brillant, c’est tordant, c’est mordant, c’est formidable, indispensable et ça fait voyager (enfin juste un peu).

Le Front Russe, Jean-Claude Lalumière, éditions Le Dilettante 17 €.