La petite communiste qui ne souriait jamais

La littérature a ceci de magique qu’elle permet de passionner les foules pour des sujets qui, de prime abord, semblent peu susceptibles d’éveiller la curiosité…

La petite communiste qui ne souriait jamais en est un très bel exemple : l’histoire de Nadia Comaneci, cette fillette roumaine propulsée championne olympique en 1976 a défrayé la chronique en son temps. Pourtant, à l’évoquer aujourd’hui, on assiste tout au plus à de vagues réminiscences tout de même teintées de quelques frissons, souvenirs de ces exaltations télévisuelles que font bizarrement naître les grandes compétitions sportives. Quant aux plus jeunes générations, ce nom leur dit bien quelque chose, mais ça ne va guère plus loin.

Lola Lafon signe avec ce quatrième roman le portrait époustouflant d’une enfance à part, mais d’une enfance tout de même, innocente et pleine de rêves, avec en filigrane le visage du peuple roumain à un moment clé de l’histoire de son pays. A l’instar de ces quelques lignes où la narratrice se rend à Bucarest, de nos jours, Lola Lafon efface les clichés, et invite aussi à la réflexion :

 « Je marchais vers ce qui fut le palais des Ceausescu, il me semblait proche et plus je marchais, plus il s’éloignait, (…) pourquoi ne pas le démolir, je demandais, on me regardait, fâché, on a plus de passé à force de tout taire, disaient ceux et celles qui avaient été témoins, enfants, de sa construction, déjà que les vieux ne supportent pas qu’on raconte nos bons souvenirs! »

Difficile de s’arracher à la lecture de cette très belle surprise, mais c’est plus fort que soi, il faut retourner visionner, pour la dixième fois, les images de ce fameux jour de juillet 1976 où une fillette d’ 1m 50 défie au prix de sa vie les lois de la gravité. 

La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, éditions Actes Sud 21 €.

Petit florilège de la rentrée littéraire Acte II

Poursuivons notre tour d’horizon de cette rentrée littéraire !

Retour en France avec Lionel Salaün. Souvenez-vous, Le retour de Jim Lamar, c’était lui ! Le Bel-Air c’est ce bistrot d’une cité ouvrière de la fin des années 50 qui n’est pas nommée, où tout le monde se croise et où les ragots vont bon train. Amis d’enfance, Franck et Gérard continuent d’y passer leur temps libre, mais tandis que la guerre d’Algérie domine l’actualité, le passage de l’adolescence à l’âge adulte ne se fait pas sans heurts ni dommages. De l’amitié à la trahison, il n’y a qu’un pas à franchir, et les comptes se régleront bien des années plus tard.

Avec une écriture de plus en plus maîtrisée et élégante, Lionel Salaün franchit haut la main le cap difficile du second roman, et nous livre une belle histoire douce amère dans une France troublée.

Plonger de Christophe Ono-dit-Biot chez Gallimard est une rencontre somptueuse entre deux êtres à fleur de peau, un journaliste et une photographe qui transcendent à leur manière leur ressenti du monde et ses bouleversements.

Il y est beaucoup question d’art, de voyages et naturellement d’amour, qu’il soit tendrement filial, charnel, ou obstinément dédié à une passion, un rêve… Les mots de l’auteur disent à merveille le bonheur comme la douleur, l’intime mais aussi l’universel. Impressionnant et magnifique !

Partons maintenant en direction de l’Ukraine, plus précisément dans la ville de Pripiat, construite à l’ombre de la centrale de Tchernobyl, désormais zone interdite. C’est dans ce no man’s land où les compteurs geigers s’affolent que nous emmène Javier Sebastian avec son roman Le cycliste de Tchernobyl. En s’inspirant de la vie de Vassili Nesterenko, physicien russe spécialiste du nucléaire, qui fut traqué par le KGB pour avoir voulu révéler à ses compatriotes les conséquences réelles de la catastrophe, le romancier espagnol livre un récit à la fois formidable et terrifiant. Tout en rendant hommage aux « samosiol », ces habitants désespérés revenus s’installer au coeur de la zone irradiée, l’auteur dresse un bilan effroyable et sans appel du désastre sanitaire provoqué par le nucléaire dans le monde. Bien que romancé, l’histoire s’appuie sur des faits réels et la narration est sans cesse enrichie de documents et d’études qui fustigent le grand mensonge russe sur la réalité de la catastrophe, démontrant à quel point l’industrie nucléaire n’est qu’une immense bombe à retardement.

A présent changeons de continent…

Publié aux éditions Denoël, le roman de Jocelyne Saucier  est à l’image de son titre : subtil et poétique.

Une photographe arpente les grands espaces canadiens à la recherche de l’un des derniers survivants des terribles incendies ayant ravagé au début du 20ème siècle la région québécoise du Témiscamingue. En lieu et place de cendres et de désolation, elle y découvre une petite communauté de doux dingues âgés et marginaux, cachés là pour y vivre à leur guise leurs dernières années.

Jocelyne Saucier célèbre avec ses drôles d’oiseaux la nature et l’humain, la vie et la fin de vie.

Un vrai moment de grâce.

Terminons en beauté notre tour du monde de la rentrée littéraire avec L’autre côté des docks, le roman de l’américaine Ivy Pochoda, qui se déroule à New-York, enfin plus exactement à Red Hook, l’un des quartiers défavorisés de Brooklyn. De l’ancien port autrefois prospère il ne reste plus qu’une longue série de docks sombres et miteux, témoins d’un passé industriel laissé à l’abandon. Une nuit, deux adolescentes décident de tromper leur ennui en partant explorer l’East River sur un canot pneumatique. L’une d’elle ne reviendra pas. Ce drame sert de fil conducteur à un roman choral où chaque personnage, en plus de vivre la tragédie à sa manière, laisse apparaître sa fragilité. De l’épicier qui tente de faire vivre son quartier à l’artiste raté reconverti en professeur de musique, tous forment sans le vouloir une communauté marginale mais solidaire. Entre La nostalgie de l’ange d’Alice Sebold et les romans de Russell Banks, voilà une nouvelle plume sensible et remarquable.

Bonne lecture à toutes et à tous !

Bel-Air, Lionel Salaün, éditions Liana Levi 17.50 €

Plonger, Christophe Ono-Dit-Biot, éditions Gallimard 21 €

Il pleuvait des oiseaux, Jocelyne Saucier, éditions Denoël 16 €

Le cycliste de Tchernobyl, Javier Sebastian, éditions Métailié 18 €

L’autre côté des docks, Ivy Pochoda, éditions Liana Levi 22 €

Petit florilège de la rentrée littéraire Acte I

Depuis un mois la rentrée littéraire s’invite sur les tables des librairies. Voici le premier acte d’un résumé de nos différents coups de coeur. De la France au Venezuela, c’est parti pour un tour du monde à la fois dépaysant et enrichissant!

Partons de la France avec Yannick Haenel. Dans son dernier roman, Les renards pâles (Gallimard), l’auteur nous conte la vie d’un homme qui bascule peu à peu dans la marginalité, et qui au cours de ses déambulations parisiennes, voit se former un mouvement contestataire et spontané. Bien qu’un peu court, mais ne manquant pas de style, le livre amorce des réflexions intéressantes et illustre bien le malaise de notre société, laquelle pour l’écrivain n’échappera pas à la révolution.

Autre société, et autre malaise : le Japon. C’est là que nous emmène Thomas B. Reverdy avec Les Evaporés (Flammarion). A travers la quête sentimentale d’un détective privé américain, l’auteur nous parle d’un phénomène grandissant au Japon, celui des disparitions. Qui sont ces hommes qui, du jour au lendemain, quittent sans prévenir leur foyer, leurs enfants, leur travail et s’évanouissent dans la nature? Ils deviennent une honte pour la famille tandis que la police, en refusant d’enquêter sur ces disparitions, nie leur existence. D’où leur appellation : les évaporés. Un roman passionnant où l’on découvre un Japon souterrain et peu glorieux, celui notamment de l’après Fukushima.

Ce livre trouve un écho avec celui de la romancière autrichienne d’origine japonaise Milena Michiko Flasar, La cravate, paru aux éditions de L’Olivier. On y croise ici deux solitudes, deux exclus qui ne trouvent pas (ou plus) leur place. Un jeune homme qui après s’être barricadé pendant des mois dans sa chambre, reprend doucement contact avec le monde extérieur. Et un employé de bureau au chômage qui cache à sa femme la perte de son travail. Tous deux ont pris l’habitude de se retrouver sur un banc dans un parc, et se racontent leur histoire sans porter de jugement. Sous un angle plus intimiste et touchant, ce roman aborde encore une fois l’aliénation de la société japonaise, basée sur l’humiliation, le rejet des faibles et des personnalités sensibles. Un très beau texte !

Changeons de cap et partons maintenant au Venezuela, sur l’île de Marguarita, théâtre du splendide roman de Fancisco Suniaga, L’île invisible paru aux éditions Asphalte. Nous y suivons l’enquête d’un avocat fauché mais pragmatique, José Alberto Benitez, chargé par une dame allemande d’éclaircir les raisons réelles de la mort de son fils, retrouvé noyé sur une plage. Pas tout à fait un roman policier, L’île invisible est avant tout une découverte : celui d’une société insulaire lénifiante mais malgré tout attachante, prisonnière d’un cadre de rêve. Grâce à ses personnages, à sa narration captivante, à ses digressions littéraires et poétiques, qui vont de Conrad à Juan Rulfo et du rêve à la folie, L’île invisible est une perle qu’on voudrait garder pour soi mais qu’il serait injuste de ne pas partager. C’est l’une des très belles surprises de cette rentrée !

La suite de nos coups de coeur au prochain épisode… D’ici là, tous ces livres vous attendent à la librairie !

Les renards pâles, Yannick Haenel, éditions Gallimard 16.90 €

Les évaporés, Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion 19 €

La cravate, Milena Michiko Flasar, éditions L’Olivier 18.50 €

L’île invisible, Francisco Suniaga, éditions Asphalte  21 €