Et me voilà tout d’un coup de retour sur le terrain d’athlétisme de l’école.
Enfant je n’ai guère apprécié les cours de sport. Dans le meilleur des cas j’arrivais à me rendre invisible en me faisant oublier dans un coin. Mais quand la chance n’était pas de mon côté, il fallait tenter l’épreuve et invariablement j’échouais. Les profs me détestaient.
Près de quarante ans plus tard un vieux démon resurgit dans un roman (un premier) de la rentrée littéraire de janvier : Fosbury.
Fosbury… Souvenez-vous : on commence d’abord par sauter en ciseaux… puis on passe à la technique du saut « en Fosbury », c’est-à-dire le saut en hauteur en rouleau dorsal. Parce qu’en ciseaux la limite est vite atteinte. En Fosbury tout est possible. Enfin pas pour moi qui finissais toujours par prendre la barre dans le dos… mais passons.
Richard Fosbury a grandi dans l’Amérique insouciante des années 60. Parce qu’il faut faire du sport et qu’il est un grand dadais, on l’inscrit au saut en hauteur. Il n’est pas très bon et plafonne vite. Mais lui s’en moque, tout ce qu’il veut c’est se faire des amis et pouvoir se promener tranquillement dans les rues de Portland après les cours. Mais les années passent et la pression monte, alors tant bien que mal Richard s’entraine et un peu par hasard il découvre que la concentration requise pour le saut le met dans une sorte de transe. Il y découvre des sensations inédites et plonge plus profondément en lui. Le trajet après les cours devient pour lui une expérience mystique et lui procure une joie insoupçonnée.
Mais il plafonne toujours. Alors il s’entraine en cachette sur un ancien terrain d’athlétisme transformé depuis en terrain vague, où la végétation l’empêche presque de sauter. A une question d’un journaliste quelques années plus tard qui lui demandera: « A quoi devez-vous votre saut ? » il répondra : « à un arbre ».
Car un jour son saut va se transformer. Sans comprendre et sans le vouloir il va inventer en pleine compétition un saut révolutionnaire, à la stupéfaction de tous. Et le plafond va exploser.
Dans l’Appel, publié aux éditions Finitude, Fanny Wallendorf s’empare d’un personnage historique pour nous permettre de mieux cerner les tourments et les rêves d’un enfant, d’un adolescent puis d’un adulte, qui toute sa vie devra résister face à la bêtise et l’incompréhension. A chaque fois son saut sera remis en question, à chaque fois on tentera de le ramener en arrière, au sein du troupeau. Mais jamais il ne cèdera.
La seule chose qu’a voulu Richard, au fond, c’est qu’on le laisse tranquille. Qu’on le laisse libre. Libre de se concentrer. Libre de sauter comme il l’entend. Libre de s’arracher du sol. Libre de vivre.
Et à la lecture de ce merveilleux roman, près de quarante ans plus tard, Fosbury ne m’apparaît plus comme une humiliation scolaire de plus. Fosbury sonne désormais pour moi comme un appel irrésistible et inaliénable à l’envie de vivre et à la liberté.
Nous voilà réconciliés.
Frédéric
L’Appel, Fanny Wallendorf, éditions Finitude 22 €