Le livre de Neige

Maria Nieves, dite Nieves (Neige en espagnol), n’est qu’une enfant lorsqu’elle se réfugie en France avec ses parents, fuyant la toute nouvelle dictature franquiste. Pour se faire une place dans ce pays étranger, il lui faudra surmonter le choc du déracinement et l’apprentissage du français. Les premières années seront dures, mais le goût de la liberté et la soif de connaissances aideront Nieves à franchir tous les obstacles. Installée au coeur de la Petite Espagne à Saint-Denis (la mère fait des ménages et le père se crève à l’usine), où sont relégués les immigrés dans des conditions misérables, l’enfant devient progressivement jeune femme, découvre les joies de la lecture et des livres, l’émerveillement grâce à la grande bibliothèque de la ville, se nourrit de culture et des sciences et survole peu à peu l’école puis l’université.

Forçant son destin, Nieves deviendra vite une femme moderne, curieuse, de plus en plus sensible à l’écologie et à la nature, avec pour seul but devenir libre et indépendante. Et tant qu’on y est, pourquoi pas un prix Nobel ou un voyage en URSS… Il y aura des épreuves, mais rien qu’elle ne pourra surmonter. Car comme le dit si bien son fils, Olivier Liron, avec tout l’humour, la tendresse et le talent qu’on lui connait : « La tristesse, c’est comme la météo de Nathalie Rihouet. Il ne faut pas s’en faire. Le soleil finit toujours par revenir sur l’ensemble du territoire, des côtes de l’Atlantique jusqu’aux Ardennes. »

Le livre de Neige est un fabuleux voyage dans la France d’avant la morosité, pays pourtant ingrat drogué à la croissance grâce à une population immigrée qu’elle n’hésite pas à malmener. Leçon de courage et leçon de vie, ce merveilleux récit est aussi une leçon d’amour d’un fils reconnaissant qui deviendra écrivain, pour notre plus grand plaisir.

Le livre de Neige, Olivier Liron, Gallimard 19 €

P.S : Olivier Liron est aussi l’auteur d’Einstein, le sexe et moi (Points Seuil à 6.70 €), livre tout à la fois désopilant, féroce et touchant, à lire aussi sans hésitation !

Frédéric

Le voyant d’Etampes

La soixantaine et retraité depuis peu, Jean Roscoff est un universitaire spécialisé dans la « Guerre Froide » et un vétéran d’S.O.S racisme dont il ne cesse de ressasser les heures de gloire. Passionné par un obscur écrivain américain des années 50, Robert Willow, musicien de jazz et poète maudit qui vécut en France, il décide de lui consacrer un livre. Publié chez un éditeur confidentiel aux maigres ambitions, porté par un lancement raté au cœur d’un bar miteux, le livre prend vite le chemin d’un four éditorial sans même passer par la case du succès d’estime. Pourtant, un article publié sur un blog anodin attire l’attention. C’est le début des ennuis pour l’écrivain, car de nos jours le pire arrive très vite.

Heureusement Jean Roscoff a de quoi affronter la dure réalité du monde moderne : un alcoolisme gênant, une femme qui tient à « réussir son divorce », une fille lesbienne en couple avec une activiste virulente et un mouton noir d’Ouessant (le bouc il ne l’a pas trop senti). Pas de doute, Jean Roscoff va bien toucher le fond. Mais il ne va pas se laisser faire pour autant, quitte à se remettre en question…

Un roman drôle et sarcastique, une fable critique sur les réseaux sociaux et la dictature de la morale, Le Voyant d’Etampes est un roman jubilatoire et malicieux, qui avec un humour irrésistible sait mettre en lumière les limites et les failles de notre société. C’est aussi le portrait d’un homme dépassé, fruit d’un autre siècle et qui peine à garder l’équilibre.

Le voyant d’Etampes, Abel Quentin, éditions de l’Observatoire 20 €

Bélhazar

« Tout est vrai. »

Ainsi commence ce récit incroyable, écrit autant avec le ventre qu’avec le coeur, qui oscille entre roman, enquête et plongée introspective.

L’histoire d’un drame : un contrôle d’identité qui tourne mal. Des adolescents, une arme. Un coup qui part et une vie qui disparaît à jamais. L’histoire d’une malédiction aussi : un jeune présent sur les lieux du drame se retrouve à l’hôpital psychiatrique, il ne parlera plus. Un gendarme se suicide peu après. Un avocat star prend les choses en main mais finit aussi par se suicider. Quelques années plus tard, un autre avocat s’empare du dossier et veut aller au bout de l’affaire. Il mourra dans l’attentat du Bataclan.

La famille, désemparée, appelle l’auteur qui a eu Bélhazar comme élève et le supplie de reprendre l’enquête à zéro. Lui seul peut découvrir la vérité, c’est la dernière chance. Mais derrière les faits, il y a une histoire, et pour connaître l’histoire il faut comprendre : qui était Bélhazar ?

Délaissant sa propre vie, l’auteur lâche tout et part en quête, quitte à se perdre. Peu à peu un adolescent singulier se dessine. Etrange mais charismatique, qui intrigue mais fascine. Ses camarades le surnomment « Le regardeur de soleils », sa présence inquiète autant qu’elle rassure. Peintre, artiste, d’une déconcertante maturité, il navigue au bord d’un monde qui n’existe que dans son imagination, au coeur d’un labyrinthe entre Alice au pays des merveilles et les tranchées de la première guerre mondiale. Bélhazar est un astre incandescent et une étoile noire, mais il fait le bonheur de ses parents. L’auteur sait que la vérité est là, quelque part, mais elle lui brûle les mains. Peut-être ne vaut-il mieux pas la trouver.

Jérôme Chantreau, dont c’est le troisième roman, donne tout dans ce texte et livre une performance éblouissante, mémorable. Bélhazar est un mystère, il porte un secret, comme toutes les vies. Entre stupeur et admiration, nous en sommes les témoins.

Bélhazar, Jérôme Chantreau, éditions Phébus 19 €
Paru le 19 août 2021

Frédéric