La Maison Vide

Dans la maison du père de Laurent Mauvignier, longtemps restée inhabitée, il y a une commode au marbre ébréché, une médaille, un piano et des photographies où manque un visage. Derrière ces objets il y a des histoires et beaucoup de secrets.

Pour mettre fin à un malaise familial tenace et pesant, l’auteur entreprend une vaste reconstitution. Il convoque non pas le souvenir de ses aïeux, mais leur donne vie. Et créé ainsi l’occasion unique de comprendre ces destins pris dans les tourments de l’histoire, à la fois banals et exceptionnels, héroïques et tragiques, lumineux et pathétiques. Du soldat Jules dont la gloire posthume rayonne encore dans la famille, en passant par l’arrière grand-mère Marie-Ernestine jusqu’à sa fille Marguerite dont l’ombre plane toujours insidieusement… Une galerie de personnages profondément touchants, aux vies furieusement romanesques mais souvent brisées, faites d’espoirs déchus, de rêves impossibles, de réussites et d’empêchements. Et des femmes qui encaissent toute la bêtise et la violence des hommes, tandis que deux guerres mondiales renversent leur existence.

Avec son style inégalable, ses phrases d’une précision absolue, Laurent Mauvignier signe avec La Maison Vide un chef-d’oeuvre saisissant, d’une grande intensité, qui balaye presque d’un revers de la main toute cette rentrée littéraire. Avec ce roman, la littérature française contemporaine est à son sommet, assurément.

Laurent Mauvignier, c’est Flaubert et Zola aux éditions de Minuit !

La Maison Vide, Laurent Mauvignier, éditions de minuit 25 €

L’avion, Poutine, l’Amérique… et moi

Etonnant roman, ce dernier opus de Marc Dugain ! Le plus personnel et le plus secret sans doute, mais aussi addictif que le meilleur des thrillers !

Travaillant sur les forces obscures qui régissent la planète, sur les manigances et les machinations, l’écrivain finit par être rattrapé par la réalité et les conséquences de tout ce qu’il a remué depuis des années. Le voilà donc décidé (ou contraint) à devenir le sujet de sa propre enquête. Il invente un nouveau genre, une auto-fiction teintée d’espionnage, parcourue de fulgurances géopolitiques. Un roman semi-autobiographique paranoïaque, aussi drôle qu’inquiétant, qui va de l’âge d’or de la finance à la chute de l’URSS, en passant par un drame familial, une histoire d’amour qui n’en est pas une (mais quand même un petit peu), des conspirations où il vaut mieux ne pas trop creuser (L’assassinat du président Kennedy ou la disparition du vol MH370…), le tout agrémenté de personnages hauts en couleur, d’agents secrets et de menaces de mort. Ça décoiffe.

On ne sait pas trop où est la vérité dans tout ça, sans doute parce qu’il n’y en a pas ou qu’il y en a plusieurs. Marc Dugain travaille sur une ligne de crête, en équilibre entre roman intime, investigation sérieuse et complotisme. Et visiblement cela dérange, il y a des dossiers où il vaut mieux ne pas mettre son nez. L’auteur a su s’arrêter juste à temps semble-t-il, avant de perdre la vie dans un accident louche ou de sombrer dans la folie comme Philip K. Dick.

L’Avion, Poutine, L’Amérique… et moi est en tout cas un roman passionnant, gentiment flippant, qui s’il ne va pas vous rassurer sur l’état du monde, vous permet au moins d’en appréhender les sombres dessous.

« – En attendant, je vous serais reconnaissant de me donner des nouvelles des deux disparus, si vous en avez. Il se peut très bien que vos interlocuteurs aient demandé aux Russes de les faire disparaître. Ils sont peut-être déjà profondément immergés dans le lac Léman.

Je me disais : Au moins si plus tard te venaient l’envie et le talent d’écrire, une chose est certaine : tu auras quelque chose à raconter. »

L’avion, Poutine, L’Amérique… et moi, Marc Dugain, éditions Albin Michel 22.90 €

P.S : pour les fêtes de fin d’année, la librairie est ouverte dimanche 8, 15, 22 et 29 décembre, ainsi que lundi 23 et 30.

Cabane

Au début des années 70, plusieurs industriels proposent à quatre jeunes chercheurs de l’université de Berkeley de travailler sur une projection liée à la croissance économique. En se penchant sur toutes les données à leur disposition (natalité, espérance de vie, ressources naturelles, surface des terres arables, pollution…) et avec l’aide d’un prototype IBM révolutionnaire, l’équipe rédige une note dont les conclusions sont sans appel : si la croissance et la démographie ne ralentissent pas, l’humanité connaîtra un effondrement inéluctable au cours du XXIème siècle.

Publié chez une obscure maison d’édition, le rapport deviendra vite un succès monumental et ira jusqu’à influencer la politique américaine de l’administration Carter. Mais l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan en 1981 mettra un point final à la bonne volonté américaine. Le changement de paradigme n’aura pas lieu. 

De leur côté, deux des chercheurs tenteront d’alerter et de convaincre l’opinion pendant des années, avant de se résigner puis de se retirer dans une ferme pratiquer l’élevage bio. Le troisième décidera de profiter de la vie, allant jusqu’à travailler pour ceux responsables du saccage planétaire. Quant au dernier, le norvégien Johannes Hudson, il disparaît de la circulation. Les rumeurs disent qu’il est devenu fou et qu’il aurait croisé la route du mystérieux terroriste Unabomber…

Inspiré de faits réels, notamment du « rapport sur les limites à la croissance » publié en 1972, Abel Quentin livre avec Cabane un roman « coup de poing » sur notre inaction et notre incapacité à modifier nos comportements pour un futur trop lointain, un futur que nous ne vivrons peut-être pas. Mais Cabane est avant tout un livre passionnant, peuplé de personnages inoubliables confrontés à la plus violente des réalités, celle d’une humanité qui a fait le choix du confort, de la vitesse, de l’argent et qui préfère « foncer droit dans le mur en klaxonnant » au détriment du bon sens.

Dans Le Voyant d’Etampes, son deuxième roman, Abel Quentin dénonçait déjà avec un humour ravageur les hystéries de notre folle société contemporaine. Avec Cabane, il livre cette fois une épopée romanesque aux multiples ramifications, mordante et furieuse, lucide et impitoyable.

« L’avenir des Etats-Unis dans deux ou dix ans (…) est une chose sérieuse. L’avenir du monde dans cent ans ne l’est pas. L’avenir du monde est une préoccupation oiseuse, une lubie bizarre pour tout dire. Si on se préoccupe de l’avenir du monde alors on oublie l’avenir des Etats-Unis et pendant ce temps-là les chinois n’oublient pas l’avenir de la Chine, eux. Les Russes n’oublient pas l’avenir de la Russie, eux. Et pendant que vous rêvez tout haut, pendant que vous lisez l’avenir dans vos graphiques et vos modèles compliqués, vous vous faites voler. Les chinois et les russes vous font les poches en riant. »

Cabane est l’un des romans les plus percutants de cette rentrée littéraire. Quitte à vivre la fin d’un monde, autant connaître les raisons du désastre et passer un bon moment… 

Frédéric

Cabane, Abel Quentin, éditions de L’Observatoire 22 €